Le colorisme peut se définir comme la hiérarchisation de la couleur de peau dans un même groupe ethnique. En d’autres termes, la couleur produit une discrimination basée sur la teinte de peau: plus la couleur est pâle, plus on jouit de privilèges, plus les chances de réussite sont hautes. C’est une notion complexe qui entraîne selon les pays un lourd passé colonial, un formatage occidental des critères de beauté et un rejet culturel.
H. Rap Brown écrit que la première chose dont l’homme noir est conscient « est qu’il est différent des blancs. L’autre chose est qu’il est différent des autres noirs. Il est né dans un monde à double échelle de valeurs où la couleur est de première importance. Les noirs à peau claire croient qu’ils sont supérieurs et les Noirs à peau plus sombre leur permettent d’agir selon cette croyance ». En Haïti, ce phénomène est très courant ce qui provoque chez les jeunes femmes une décoloration de leur peau par l’utilisation de produits éclaircissants (gels, laits corporels, savons, crèmes…). Grimèl, voilà le qualificatif dont plusieurs femmes haïtiennes désirent au prix de leur santé et de milliers de gourdes. Étonnamment, les hommes depuis quelques temps adhérent à ce phénomène en utilisant tous les moyens pour aboutir à la blancheur immaculée. Des transformations spectaculaires s’affichent sur les réseaux sociaux: c’est entre le chocolat et le lait…quasi méconnaissable.
Ce phénomène ne se produit pas uniquement en Haiti. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, quatre femmes africaines sur dix utilisent des produits éclaircissants. En Inde, trois femmes sur cinq et en Chine deux femmes sur cinq.
A un moment donné, il faut se poser les bonnes questions: Pourquoi les femmes noires à la teinte plus claire sont favorisées à l’école, à l’université ou au travail? Pourquoi cette tolérance des commentaires discriminantes comme: » Tu es jolie pour une noire? » Comment est-il possible qu’un pays comme Haiti où les gens ont faim, l’éducation est un luxe et le taux de chômage en chute libre, des jeunes osent dépenser des milliers de gourdes pour s’éclaircir la peau? A quel point peut on se détester pour s’infliger un si grand mal compte tenu des risques sanitaires. Est ce la rage d’être belle/beau aux yeux des autres ou la nécessité d’accepter son reflet?
Causes historiques du colorisme
Le psychiatre et écrivain Frantz Fanon qui s’est penché le premier sur le phénomène, dans l’ouvrage Peau noire, masques blancs, publié en 1952 explique que les peuples colonisés ont fini « par intégrer [les] discours de stigmatisations, le sentiment d’être inférieur, par mépriser [leur] culture, langue et peuple », et souhaitent du coup « ressembler au colonisateur » – c’est-à-dire aux Blancs. En envahissant les pays d’Afrique et d’Asie, les Européens ont en plus importé leurs canons de beauté : teint pâle, lèvres et nez très fins, yeux clairs… Quant à l’esclavage, il reposait lui aussi sur une classification en fonction de la nuance de la peau : du temps de la traite négrière, les Noirs à la peau la plus foncée étaient forcés de travailler dans les conditions les plus difficiles (dans les champs de canne et de coton, par exemple), tandis que les personnes au teint clair étaient autorisées à effectuer des tâches dans la maison des esclavagistes. Autant de faits historiques à l’origine du colorisme, un terme popularisé par la militante afro-américaine Alice Walker à partir des années 1980.
Il est bien de clamer de partout black is beautiful…mais il faut commencer à s’attaquer aux causes non aux conséquences, aux maux de la société non aux produits.
Le colorisme et l’attractivité
Pourquoi l’homme noir cherche t-il une femme plus claire?
De nombreuses études ont confirmé que le ton de la peau influe beaucoup plus sur les notes d’attractivité attribuées aux femmes noires qu’aux hommes, indiquant qu’une peau claire est perçue comme une caractéristique particulièrement féminine. Les tons de peau clairs sont interprétés comme de la beauté, et l’attractivité est un capital social pour les femmes, qui peuvent le convertir en capital éducatif, économique ou autre. Ce point est peut-être le plus frappant dans la demande des femmes à la peau foncée pour produits éclaircissants pour la peau.
Des critiques fusent de partout sur les réseaux sociaux blâmant ces personnes qui sont le produit d’une société hiérarchisée, d’une nation encore secouée par les séquelles de l’esclavage reproduisant la classification des colonisateurs aux fins de diviser les colonies.
Sans le vouloir, nous avons produit des femmes et des hommes qui pensent qu’une peau plus claire les intégreront mieux dans la société, pour eux la beauté est blanche, ses traits sont raffinés et ses cheveux lisses.
Que représente cette industrie dans le monde?
L’industrie mondiale de l’éclaircissement de la peau pèse 4.8 milliards de dollars en 2017 et elle devrait doubler pour atteindre 8.9 milliards de dollars en 2027. Elle comprend des gammes de produits tels que savons, crèmes, gommages, comprimés et même des injections conçues pour ralentir la production de mélanine. La dernière production en date est une pillule qui permettrait de concevoir un enfant à la peau claire. Les experts médicaux citent des malformations congénitales, y compris des dommages aux membres et aux organes internes suite a l’absorption de ces pilules au cours de la grossesse.
Il est inacceptable que ces produits soient soumis à aucun contrôle efficace par les autorités compétentes haïtiennes, on trouve de tout sur le marché laissant les femmes, en particulier, libres de se tuer à petit feu. Bien souvent, elles ignorent les risques de santé et s’adonnent à ces pratiques qui leur paraissent tout à fait normales. L’Afrique du Sud a la législation la plus sévère contre les produits éclaircissants. Rien qu’en France, plus de 150 produits interdits ont été recensés en 2018 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
Les produits éclaircissants et les risques sur la santé
Ces produits peuvent présenter des risques pour la santé, notamment l’apparition de cloques ou de cicatrices, l’affaiblissement ou la détérioration de la peau, la perte osseuse, la diminution de la capacité de combattre des infections et éventuellement, dans le cas de l’hydroquinone à des concentrations supérieures à 2 %, le cancer, un risque accru notamment de diabète et d’hypertension artérielle, de complications rénales et neurologiques. Les produits éclaircissants peuvent également contenir des niveaux inacceptables de mercure. L’empoisonnement au mercure peut gravement nuire à la santé particulièrement chez les enfants, les femmes enceintes et les femmes qui allaitent: Irritabilité, tremblements, amnésie, insomnie, problèmes de concentration ainsi que lésions rénales et cérébrales sont quelques-uns des effets toxiques du mercure.
Que faire?
Tout le monde a une manière de réagir aux attaques coloristes de la société, certaines femmes ne seront pas ébranlées, d’autres seront immensément affectées et voudront changer leur nature pour plaire, pour rentrer dans des cases et se livreront sans réfléchir à des pratiques abominables pour éliminer cette peau noire qui passent inaperçue dans une société noire. Quelle ironie!
En Haiti, l’urgence est d’encadrer les femmes et d’interdire ces types de produits sur le marché. Il faut miser sur une meilleure représentation des femmes noires dans les médias afin de changer cette perception chez les plus petites comme par exemple en leur donnant des poupées à leur image.






Bon travail !
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Votre article est excellent et très éclairant.
Merci!
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